C’est un débat nécessaire qui devra avoir lieu à tête reposée et hors période électorale. Comment intégrer des candidats d’origine étrangère dans les campagnes électorales et quelle place leur confier sur les listes ? L’excellent article du Soir sur les interrogations qui traversent la section du parti socialiste de Schaerbeek ne peut qu’interpeller, et le témoignage de Sfia Bouarfa (reportage diffusé ce jeudi soir sur RTL) m’a glacé.
Les élections communales que nous venons de vivre viennent de confirmer la réalité d’un vote « communautaire » ou « ethnique » en région bruxelloise (en clair tout vote émis lorsqu’un électeur choisit un candidat en se concentrant exclusivement sur son origine et/ou sa pratique religieuse et en négligeant son programme, son honnêteté, sa sympathie, sa proximité … et autres critères habituels de l’élection).
A Schaerbeek il ne fait aucun doute que quelques candidats d’origine turque ont pu obtenir un vote massif de leur communauté Emil Oskara ( PS) avec 2335 voix réalise le 4ième meilleur score de la commune, Sait Kose (LB) obtient 1566 voix. Tous deux devancent des « personnalités » locales comme Jean Pierre Van Gorp, Eddy Courtheoux, Sfia Bouarfa ou Denis Grimberghs. Certes sur 60 000 électeurs dans la commune, 12 000 seraient « d’origine étrangère », et on ne remet pas en cause ici ni la qualité des candidats ni la réalité de leur travail pour se faire élire. Ce débat n’est pas celui des candidats « allochtones » (en démocratie que vos ancêtres soient marolliens, jettois, bretons ou guadeloupéens, peu importe, vos origines ne suffisent pas à déterminer votre comportement, seuls les racistes pensent le contraire) mais celui des arguments acceptables pour gagner une bataille électorale. L'origine des candidats n'est donc pas le problème, mais l'utilisation d'un sentiment d'appartenance qui exclue les autres communautés pose question.
Si le soupçon d’un vote « ethnique » ou "communautaire" existe, c’est parce que certains candidats, en campagne, ne s’intéressent quasi exclusivement qu’à leur communauté, et qu’il semble bien que des électeurs se reconnaissent dans une démarche « communautariste ». Des campagnes « groupées » appelant à votre pour des candidats de la même origine ont été constatées en région bruxelloise, et des candidats mènent parfois campagne dans une langue étrangère qui rend leurs argumentaire électoral difficile à vérifier. (Notez que Schaerbeek et sa communauté turque ne sont pas le seul exemple : à Bruxelles, Bertin Mampaka (cdh) obtient 2543 voix, mieux qu’Henri Simons ou Frédérique Ries, il a pu bénéficier d’un effet de vote « africain »).
Si Schaerbeek doit retenir notre attention c’est surtout parce que la commune fût le théâtre d’une série de dérapages. La présence d’un « loup gris repenti » sur les listes du parti socialiste interpelle ainsi plus d’un « camarade » au PS (certains candidats confiant même qu’ils ont appris la réalité en cours de campagne et que cela devra faire partie des réunions d’analyse prévues ces jours ci). Mais il faut aussi y ajouter les injures reçues en rue par Sfia Bouarfa ( PS) parce qu’elle serait une mauvaise musulmane. Ou encore les SMS et les consignes orales pour ne pas voter pour l’un ou l’autre parti au motif qu’il reconnaît le mariage homo ou que certains de ses candidats de religion musulmane boivent de l’alcool (plusieurs témoignages sur des messages de ce type délivrés à l’abord des bureaux de vote me sont parvenus). Les partis politiques qui ont suscité , cautionné ou même autorisé ce genre de campagne hideuse, même au modeste niveau local, ne devraient plus avoir de place dans la démocratie belge.
Certes il est sain que tous les citoyens (qu’ils soient belges, d’origine étrangère ou ressortissant d’un autre état) d’une commune participent à la vie locale et que le conseil communal reflète la diversité culturelle des habitants. Mais ce désir légitime d’intégration, combiné à la compétition électorale entre partis, ne permet pas tous les coups.
On voudrait ici que les partis politiques bruxellois saisissent l’occasion qui leur est donnée pour lancer une réflexion sur la place des candidats d’origine étrangères sur leurs liste, le rôle qu’on leur fait jouer et le type de campagnes qu’il conviendrait d’éviter à l’avenir.
Pour que le débat soit fructueux et utile on y ajoutera deux préambules :
1) il ne s’agit nullement de stigmatiser l’un ou l’autre communauté (l’auteur de ces lignes est un anti-raciste convaincu). Pour être concret et précis, le débat n’est possible que si l’on distingue clairement une pratique tolérante de l’islam tout à fait compatible avec l’exercice démocratique (pratique majoritaire il faut le souligner) de ceux qui tentent d’assujettir la vie politique à leur pratique religieuse (minoritaires, mais présents et actifs). Seuls la seconde option mérite qu’on la combatte, ce n’est parfois pas dit clairement.
2) Il serait sot et déplacé d’instrumentaliser ce débat contre une formation politique précise. Les exemples cités plus haut indiquent bien que le problème est en mesure d’atteindre tous les partis politiques s’ils n’y prennent garde.